Ratelle | Joliette & Repentigny
Menu

14 août 2018

Me Dave Drolet

Avocat

Repères, Août, 2018


Commentaire sur la décision Turcotte c. R. – Quels critères la Cour devait-elle retenir dans l'évaluation de la période d'inadmissibilité à une libération conditionnelle ?

Indexation

PÉNAL ; APPEL DE LA PEINE ; DÉTERMINATION DE LA PEINE ; CIRCONSTANCES AGGRAVANTES ; CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES ; SORTES DE PEINES ; EMPRISONNEMENT À VIE ; DÉTERMINATION DU DÉLAI PRÉALABLE À LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE ; SORTES D'ORDONNANCES ; PEINE CONFIRMÉE


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION
I– LES FAITS
II– LA DÉCISION
III– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEUR
CONCLUSION

Résumé

L'auteur commente cette décision de la Cour d'appel qui a rejeté l'appel présenté par les avocats de Guy Turcotte, lequel visait à réduire la période d'inadmissibilité à une libération conditionnelle imposée par la Cour supérieure.

INTRODUCTION

L'affaire Guy Turcotte fut sans contredit l'une des affaires les plus médiatisées des dernières années. Avec cette récente décision Turcotte c. R. 1 de la Cour d'appel, peut-on considérer que cette « saga » connaît maintenant son dénouement ? Il restera à savoir si la Cour suprême se penchera sur cette décision rendue sous la plume du juge Allan R. Hilton 2, mais d'ici là, la Cour d'appel s'est prononcée à savoir si l'honorable André Vincent de la Cour supérieure avait commis ou non une erreur dans son appréciation de la période d'inadmissibilité avant la libération conditionnelle de l'excardiologue.

I– LES FAITS

Les faits furent maintes fois, comme mentionnés plus haut, repris par les médias, toutefois il est pertinent de plutôt reprendre la trame factuelle retenue ici par le tribunal.

Guy Turcotte et sa conjointe de l'époque, tous deux médecins, sont mariés depuis quelques années au moment des événements. Ils sont amis proches avec un couple. En janvier 2009, il découvre que sa conjointe entretient une liaison extraconjugale avec l'homme du couple en question.

Il choisit toutefois de ne pas aborder immédiatement le sujet avec Mme Gaston, sa conjointe, puisque des vacances familiales au Mexique sont prévues. Pendant ledit voyage, M. Huot, l'homme avec qui madame Gaston entretient une liaison, informe cette dernière que M. Turcotte est au courant de la situation, ce dernier refusant d'en discuter et d'attendre le retour à la maison.

Au retour, M. Turcotte déménage et entreprend des démarches pour acquérir une résidence. Il entreprend d'en faire une inspection finale le 21 février 2009.

Malgré un processus de médiation entamé, M. Turcotte s'indigne de la présence de M. Huot dans ce qui était auparavant la résidence familiale. Le 20 février 2009, Mme Gaston informe M. Turcotte qu'elle a changé les serrures de la résidence, ce qui entraîne une réponse grossière de ce dernier.

Plus tard, il ira, comme convenu avec Mme Gaston, chercher les enfants à la garderie pour la fin de semaine, Mme Gaston s'absentant pour une fin de semaine de ski avec des amis.

Arrivé chez lui. M. Turcotte prépare le souper, met un film pour les enfants qu'il avait loué plus tôt pour eux et entreprend, à son ordinateur, de lire des courriels échangés entre Mme Gaston pendant plus d'une heure 3, ce qui le perturbera.

Le juge de première instance indiquera alors que la suite des événements telle que relatée par M. Turcotte est des plus confuses, tout en précisant qu'une preuve médico-légale se rapportant à sa conduite aide à reconstruire ce qui est arrivé le soir du drame.

Pendant qu'il est devant son ordinateur, M. Turcotte pense au suicide et consulte des sites sur le moyen de mettre fin à ses jours, notamment en consommant du lave-vitre, qui contient du méthanol pouvant causer la mort. Il relate avoir fait ensuite trois appels téléphoniques : d'abord à son agent d'immeuble pour annuler la visite prévue le lendemain, ensuite à la mère de la gardienne de ses enfants pour signaler que les services de sa fille n'étaient plus requis pour le lendemain et, finalement, à sa mère pour se plaindre de la tristesse éprouvée pendant son mariage.

Toujours selon ses souvenirs, il aurait commencé à consommer du lave-vitre, puis après avoir réalisé que ses enfants le trouveraient éventuellement mort, décide de les emmener avec lui dans la mort pour leur éviter de le trouver dans cette situation.

C'est ainsi qu'il assène au total 46 coups de couteau à ses enfants en deux temps, tout d'abord à son fils, puis ensuite à sa fille, causant leur mort de façon atroce.

Il aurait ensuite continué à consommer du lave-vitre, puis se serait couché, pour se réveiller le lendemain sous son lit.

II– LA DÉCISION

Un important historique juridique concerne cette cause et il est important ici d'en reprendre les grandes lignes.

Un premier procès eut lieu dans le district de St-Jérôme, au terme duquel le jury a conclu, le 5 juillet 2011, à un verdict de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux.

Le DPCP a alors appelé de ce verdict. Le 13 novembre 2013, la Cour d'appel a alors accueilli l'appel et ordonné un nouveau procès. M. Turcotte s'est alors volontairement rendu aux autorités, pour ensuite demander sa libération pendant le procès.

L'honorable André Vincent, J.C.S., accepte alors de remettre en liberté M. Turcotte moyennant de nombreuses conditions, décision qui fut par la suite maintenue par la Cour d'appel.

C'est aussi le juge Vincent qui verra à présider le deuxième procès, au terme duquel le jury, le 6 décembre 2015, conclura à la culpabilité pour meurtre au deuxième degré de M. Turcotte.

Invité par le juge à se prononcer sur la période d'inadmissibilité avant la libération conditionnelle, le jury refuse de le faire, c'est donc au juge Vincent qu'est revenue la tâche, dont l'appel faisant l'objet du présent commentaire.

La Cour d'appel commente tout d'abord qu'il est rare pour elle de se prononcer en appel sur une telle mesure. Ensuite, elle rappelle, comme l'avocat de M. Turcotte l'a plaidé dès le départ devant elle, qu'il ne s'agit pas d'une peine d'emprisonnement de 17 ans. Il s'agit d'une peine d'emprisonnement à perpétuité et que M. Turcotte vivra avec cette peine toute sa vie.

La question est de savoir à partir de quand il pourra faire une demande de libération conditionnelle, rien d'autre.

La défense a fait valoir à la Cour d'appel que le juge Vincent a commis une erreur en alléguant qu'il n'a pas tenu compte du fait que la jurisprudence en semblable matière milite pour des périodes d'inadmissibilité de moins de 15 ans. Elle ajoute que malgré le rejet de la défense prévue à l'article 16 C.cr., elle aurait dû tenir compte de l'état mental de M. Turcotte, tout en rappelant que le risque de récidive fut jugé faible et qu'il ne représente un risque pour la société.

La Cour d'appel, à l'unanimité, rappelle d'abord que son pouvoir d'intervention en la matière est restreint vu la difficulté des juges de première instance à évaluer une peine juste et raisonnable 4, le tout en référence aux articles 718.01 et 718.2ii.1) C.cr.

Ultimement, elle décide que deux questions doivent se poser :

1- Tout d'abord, est-ce que la période de 17 ans s'écarte de la fourchette donnée en semblable matière ?

2- Si oui, est-ce que le juge Vincent a commis une erreur ayant une incidence déterminante sur l'appréciation de la décision ?

À ces deux questions, la Cour d'appel estime que la réponse est non. S'il est exact qu'une certaine tendance jurisprudentielle est à l'effet de donner une période d'inadmissibilité de moins de 15 ans en semblable matière, l'arrêt 5 de principe rendu par la majorité de la Cour d'appel ne trouve pas application avec la même portée que celle plaidée par la défense. Ainsi, bien qu'elle soit supérieure à la tendance jurisprudentielle récente, elle ne s'en écartait pas pour autant.

Même si la première question trouvait une réponse négative, la Cour d'appel répond quand même à la deuxième question également par la négative. Elle fait même un parallèle avec une cause récente rendue récemment par la Cour d'appel de l'Ontario 6, qui avait par ailleurs également fixé la période d'inadmissibilité à 17 ans.

Pour l'ensemble de ces motifs, elle rejette l'appel.

III– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEUR

Après lecture de la décision, nous constatons que le juge Hilton accorde beaucoup de déférence à la décision du juge Vincent, ce qui n'est par ailleurs pas surprenant compte tenu des paramètres de l'arrêt Lacasse.

Aussi, bien qu'il mentionne que le juge aurait pu choisir d'accorder plus importance à la défense prévue à l'article 16 C.cr. 7, force est de constater que la Cour d'appel considère que le juge Vincent a également retenu les nombreux facteurs aggravants, soit le jeune âge des victimes et les circonstances atroces de leur meurtre.

Nous rappelons que même si ce dossier a connu une importante couverture médiatique, il ne faut pas pour autant croire que cela a pu avoir une quelconque incidence sur la décision de première instance, ni par ailleurs sur celle en appel. À titre d'exemple, il est important de rappeler que c'est le même juge qui a rendu le verdict, impopulaire dans l'opinion du public, de libérer M. Turcotte pendant les procédures, et que la Cour d'appel avait par ailleurs maintenu cette décision.

Ce sont véritablement les circonstances particulièrement accablantes de l'affaire qui ont motivé la décision du juge Vincent. Rappelons que les deux enfants étaient en bas âge, qu'ils ont reçu plusieurs coups de couteau et sont en conséquence morts dans des conditions atroces. Bien que l'accusé souffrait d'une condition particulière lors de l'événement et qu'il est possible de croire que le juge Vincent en a tenu compte, ces facteurs aggravants auront, dans l'esprit du tribunal, pesé lourd dans la balance.

Il n'est en conséquence pas étonnant que la Cour d'appel ait abondé dans le même sens que le juge Vincent, et d'aucuns auraient été portés à le faire.

CONCLUSION

Il restera maintenant à savoir si cette décision sera amenée devant la Cour suprême, ce sur quoi nous ferons preuve de réserve à ce stade-ci.

L'opinion publique, nous l'imaginons, aimerait probablement que la « saga » Turcotte prenne fin avec cette décision. Il faut toutefois rappeler que l'ensemble des décisions qui établissent le quantum approprié de période d'inadmissibilité de libération conditionnelle en semblable matière provient de tribunaux d'appel. Il ne faudrait donc pas nécessairement exclure la possibilité que la Cour suprême juge qu'il s'agit d'une question d'intérêt national. À cet égard, seul l'avenir le dira.


1. EYB 2018-295847 (C.A.).

2. La décision officielle a été rendue en anglais, bien qu'une traduction française officielle ait été déposée simultanément. L'auteur du présent commentaire, bien que bilingue et ayant lu les deux versions du jugement, a choisi, vu qu'il rédige le présent commentaire en français, de se référer à la version française du jugement, ne décelant pas de différence notable entre les deux versions.

3. La preuve au procès démontre qu'il était devant son ordinateur pendant 1 heure et 42 minutes entre 18 h 27 et 20 h 9 le 20 février 2009.

4. R. c. Lacasse, [2015] 3 R.C.S. 1089, EYB 2015-259924.

5. R. c. Lemieux, [1997] R.J.Q. 1222, REJB 1997-00338.

6. R. v. Rosen, 2018 ONCA 246.

7. Il faut comprendre ici que bien qu'ultimement elle ne fut pas retenue aux fins du verdict, l'état mental de l'accusé au moment au crime a certes une incidence sur la peine à appliquer.


Date de dépôt : 14 août 2018

Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters.

©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés.