Ratelle | Joliette & Repentigny
Menu

11 février 2021

Me Joanie Maltais

Avocate

Le 28 janvier 2021, l’honorable Gregory Moore, juge à la Cour supérieure du Québec, rendait un jugement historique en termes de reconnaissance des droits des personnes transgenres (ci-après « trans ») et non-binaires.

En effet, par cette décision, la Cour supérieure du Québec invalidait plusieurs articles du Code civil du Québec ainsi qu’un article du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil, CcQ, r. 4, jugés discriminatoires envers les personnes trans et non-binaires.

Les articles attaqués faisaient référence au « sexe » d’individus ou employaient la qualification de « père » ou de « mère », des termes ultimement jugés non inclusifs par la Cour.

Plus qu’une simple question linguistique ou qu’un détail d’ordre technique, l’invalidation de ces dispositions offre aux personnes trans et non-binaires la possibilité d’être identifiées telles qu’elles sont par le gouvernement et par la société en général, au lieu d’être classées dans des catégories qui ne leur correspondent pas totalement, voire pas du tout.

Définitions de la « transidentité » ou « transgenrité » et de la non-binarité

La « transidentité » ou « transgenrité » désigne le fait de s’identifier à un autre genre autre que celui associé au sexe assigné à la naissance.

Par exemple, on associe à un enfant le sexe masculin à la naissance, car biologiquement, ou à tout le moins, selon ce qui apparaît de ses organes génitaux, il serait un garçon. Toutefois, en grandissant, l’enfant en question se considère davantage comme une fille, malgré ses attributs typiquement considérés comme masculins.

La non-binarité, quant à elle, désigne le fait de ne s’identifier à aucun des deux genres (masculin ou féminin) ou pôles binaires. Les personnes non-binaires considèrent se trouver à un point ou à un autre d’un continuum aux extrêmes duquel se trouve ces deux pôles binaires.

Certaines personnes non-binaires considèrent même changer de point sur ce continuum au cours de leur vie, passant, par exemple, de plus « masculines » à plus « féminines », sans toutefois se qualifier entièrement d’hommes ou de femmes.

Les articles invalidés

Les articles du Code civil du Québec invalidés par la décision du juge Moore ont trait à la désignation d’individus dans des documents de l’état civil : l’acte de naissance, le constat de naissance et la déclaration de naissance.

L’article 71 du Code civil du Québec

L’article 71 du Code civil du Québec prévoit la possibilité d’obtenir la modification de la mention du sexe à son acte de naissance afin qu’elle reflète le genre auquel la personne s’associe.

L’on en comprendra, selon la définition de la non-binarité donnée précédemment, que la personne non-binaire ne peut s’associer à un genre totalement défini, et donc, à un seul et unique sexe.

L’article 71 du Code civil du Québec ne permet donc pas à une personne non-binaire de modifier la mention du sexe à son acte de naissance afin qu’elle reflète son identité de genre, ce qui fait en sorte que l’acte de naissance de la personne non-binaire ne démontre nécessairement pas sa vraie identité de genre.

Les articles 111, 115 et 116 du Code civil du Québec

Les articles 111, 115 et 116 du Code civil du Québec prévoient, pour leur part, la désignation des parents comme « père » ou « mère » d’un enfant au constat de naissance ou à la déclaration de naissance de celui-ci.

Par exemple, une personne trans peut être désignée comme père au constat de naissance de son premier enfant et, après qu’elle eût procédé au changement de son sexe, au sens légal, comme mère de son deuxième enfant, alors qu’elle s’est toujours sentie comme une femme.

Dans un tel contexte, la désignation primaire de « père » peut devenir gênante pour la personne.

Quant aux personnes non-binaires, il n’est tout simplement pas possible de les désigner comme père ou comme mère ou, du moins, il n’est pas possible de les désigner comme tels tout au long de leur vie, leur position sur le continuum binaire étant moins tranchée ou fluctuante.

L’article 23.2 du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil

Enfin, l’article 23.2 du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil prévoit que la demande de changement de la mention du sexe d’un enfant de 14 ans ou plus doit être accompagnée d’une lettre d’un médecin, d’un psychologue, d’un psychiatre, d’un sexologue ou d’un travailleur social ayant évalué ou suivi l’enfant en question et étant d’avis que le changement de cette mention est approprié.

Cet article oblige donc l’enfant de 14 ans ou plus qui désire changer de sexe à consulter un professionnel de la santé, qui exercera une sorte de droit de veto sur sa pourtant très personnelle décision de changer de sexe.

Les droits auxquels les articles invalidés portent atteinte

La Cour supérieure, sous la plume du juge Moore, a motivé sa décision d’invalider les articles étudiés précédemment en expliquant que ceux-ci portent atteinte au droit à la dignité et au droit à l’égalité des personnes trans et non-binaires, lesquelles ne peuvent pas, sous leur cadre, bénéficier d’une identification qui reflète correctement leur identité de genre.

Conclusion

En somme, la décision du juge Moore marque une étape importante du long chemin vers l’atteinte d’une société inclusive. Son application demeure suspendue jusqu’au 31 décembre 2021, délai dont le législateur dispose pour s’y conformer en modifiant les articles invalidés. L’articulation concrète de cette invalidation et les impacts qu’elle aura sur la jurisprudence en pareilles matières restent à suivre.


Au plaisir de vous conseiller, notamment en ce qui concerne les droits de la personne,

Me Joanie Maltais